Peut-on rompre un contrat pour faute sans mise en demeure préalable ?
Peut-on rompre un contrat pour faute de son partenaire sans mise en demeure préalable ? Com, 18 octobre 2023, n°20-21.579
Dans un monde idéal, un contrat n’est censé ne pouvoir être rompu que dans le respect des conditions prévues par ce contrat. Cependant, en cas de manquement contractuel d’une partie, la loi permet à l’autre partie de rompre le contrat de manière anticipée, en respectant toutefois plusieurs conditions.
Quelle est la différence entre résiliation et résolution ?
Avant tout, il parait nécessaire de clarifier un point de vocabulaire. En droit, il existe une différence entre la résiliation d’un contrat, qui ne vaut que pour l’avenir, et la résolution d’un contrat, qui s’applique rétroactivement à compter de l’inexécution contractuelle ayant causé la rupture.
Dans la pratique, on parle indifféremment de résiliation du contrat et de résolution du contrat. Dans le langage courant, on utilise surtout le terme de résiliation.
C’est pourquoi nous parlerons dans cet article de résiliation du contrat ou, de manière plus générique, de rupture du contrat.
Quel formalisme pour résilier un contrat pour faute ?
Les articles 1224 et 1226 du Code civil prévoient en effet un dispositif autorisant un cocontractant à résilier le contrat pour faute de son partenaire contractuel :
- A ses risques et périls
- Si la faute est suffisamment grave
- En lui notifiant la rupture
- Après lui avoir adressé une mise en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai raisonnable (sauf urgence).
Si ce formalisme n’est pas respecté, ou si la faute n’est pas suffisamment grave (ce qu’il appartient à celui qui rompt le contrat de prouver), la résiliation est sans effet, c’est-à-dire que le contrat n’est pas rompu.
Mais parfois, en fonction des circonstances, l’envoi d’une mise en demeure peut s’avérer parfaitement vaine. Au mieux, la préparation, l’expédition et le délai raisonnable du courrier de mise en demeure font perdre inutilement du temps au créancier, au pire cette formalité aggrave son préjudice.
L’envoi d’une mise en demeure est-il obligatoire pour résilier ?
Dans le cas où il résulte des circonstances que l’envoi d’une mise en demeure au débiteur est totalement inutile, le créancier peut-il résilier directement le contrat, sans mettre en demeure le débiteur de s’exécuter ?
La Cour de cassation a clarifié ce point par un arrêt du 18 octobre 2023 (n°20-21.579).
Une société de taille et de façonnage de calcaire et de marbre a fait appel à un société spécialisée dans l’installation et l’entretien de machines et équipements mécaniques afin, notamment, d’effectuer la maintenance d’une scie sur un chantier.
Les relations entre les parties se sont envenimées, le comportement du dirigeant de la première société entraînant le retrait du chantier de la seconde, laquelle a notifié la résiliation du contrat, sans avoir jugé utile de lui adresser une mise en demeure préalable.
La Cour d’appel ayant donné raison à la partie ayant résilié le contrat, l’autre partie a formé un pourvoi en cassation, estimant que le contrat ne pouvait être résolu sans mise en demeure.
La Cour de cassation relève que le dirigeant de la première, insatisfait de la prestation, a « tenu des propos insultants et méprisants » à l’égard d’un employé de sa cocontractante, « mettant en cause sa capacité à faire et à suivre le chantier, donnant des ordres directs à l’un des salariés de celle-ci sans en informer sa hiérarchie ». Il a également « imposé des dates d’intervention non convenues ».
Selon la Cour, « en l’état de ces constatations et appréciations par lesquelles elle a fait ressortir que le comportement du dirigeant (…) était d’une gravité telle qu’il avait rendu manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de rechercher si une mise en demeure avait été préalablement délivrée à cette société, dès lors qu’elle eût été vaine, a légalement justifié sa décision ».
Si et seulement si les conditions sont remplies, il n’est donc pas obligatoire d’envoyer une mise en demeure au cocontractant fautif pour résilier le contrat.
Une mise en demeure inutile est contraire à l’efficacité économique
D’une part, cette décision relève du bon sens. En effet, la résiliation du contrat étant rendue nécessaire par le comportement du dirigeant de la société cocontractante, et donc par sa personne même, une mise en demeure de changer de personnalité confinerait à l’absurde. De même, une mise en demeure de changer son comportement n’aurait aucun sens dans la mesure où le lien de confiance est de toutes façons d’ores et déjà rompu par le comportement fautif du dirigeant.
D’autre part, cette décision est conforme à l’esprit de la loi. En effet comme l’explique la Cour de cassation dans la Lettre de la Chambre commerciale de novembre 2023, elle est justifiée par « l’objectif [des articles 1224 et 1226] du Code civil d’assurer un équilibre entre l’impératif d’efficacité économique et la sauvegarde de la protection du débiteur ».
La délivrance d’une mise en demeure qui est manifestement vaine est contraire à l’impératif d’efficacité économique, tandis que le débiteur reste protégé par le fait que ce dernier conserve la possibilité d’attaquer en justice la résiliation, non pas en faisant grief au créancier de ne pas l’avoir mis en demeure, mais en contestant la gravité de la faute ayant motivé la résiliation.
Comment résilier un contrat pour faute sans mise en demeure ?
Certes, cet arrêt de la Cour de cassation est favorable au créancier dispensé de mise en demeure, mais cette possibilité est loin d’être un blanc-seing pour résilier sans préavis à la moindre faute de son cocontractant.
En effet, on ne répètera jamais assez que le cocontractant s’estimant victime d’une faute de son partenaire contractuel résilie à ses risques et périls. Le véritable débat se situe donc davantage autour de la preuve du manquement contractuel.
Le juge devra souverainement apprécier non seulement si la mise en demeure est vaine, mais également et surtout si la faute ayant motivé la résiliation est suffisamment grave, ce qu’il appartiendra à la partie résiliant le contrat de prouver au juge, qu'il faudra convaincre.
En l’absence de preuve, le juge considèrera que le contrat n’a pas été résilié et condamnera la partie ayant résilié en conséquence.
C’est pourquoi il est conseillé, non seulement de mettre en demeure le cocontractant fautif (dans la mesure où cela n’aggrave pas inutilement le préjudice) mais également de s’assurer de disposer de preuves de la gravité de la faute (par exemple, dans le cas de cet arrêt : preuve des propos insultants, des dates d’intervention imposées, etc.).
Si votre partenaire contractuel n’exécute pas correctement ses obligations et que vous souhaitez rompre le contrat, votre avocat à Paris 17 pourra vous conseiller.
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Maître Axel Poncet
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